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  • ALGERIE SEPTEMBRE 2003

Notre reporter a enquêté à El-Bayadh
Sur les traces des émirs braconniers

Par Lyès Bendaoud Lu (1567 fois)
L'édition du 23/9/2003 Quotidien liberté www.liberte-algerie.com

Des émirs du Golfe sont déjà dans le désert d’El-Bayadh où ils préparent activement leur traditionnelle campagne de chasse à la gazelle dorcas et à l’outarde houbara. Pendant une semaine, nous avons tenté de marcher sur leurs pas, trouvant des traces multiples d’hommes entraînés par leur vie de bédouin à la stratégie de l’esquive, évaporés dans l’étendue sauvage et belle du Sahara. Entre les propos plaintifs des spécialistes locaux de l’environnement et les justifications irrationnelles de l’administration, les espèces en voie de disparition que la nature a livrées aux mains de braconniers jouissifs n’ont guère le choix : soit fuir l’algérie, soit mourir.
Que dit la loi ? Que font les responsables ?

La peur au ventre, le garde-forestier avance vers son bureau, les pieds enfoncés dans le sable un tantinet mou de cette localité rebelle qu’est Labiodh Sidi-Cheikh. Il parle en balbutiant, les yeux égarés, le regard lointain, comme si son ombre objectait de ce que son corps aiguillé allait dégager. Il y a quelques années, un de ses collègues a été harcelé, suspendu pendant un mois (et repris à la faveur d’une intervention) pour "avoir osé parler". Ses paroles, évidemment, n’étaient pas du goût de ses chefs hiérarchiques. Qu’a-t-il donc pu dire ? "Il a parlé." Il a en fait osé dire tout bas ce que les habitants de Labiodh pensent tout haut. À savoir que ces "émirs du Golfe qui viennent exterminer la gazelle et l’outarde n’étaient pas les bienvenus dans la région, parce que leur arrogance n’a d’égale que le mépris de ceux dont ils obtiennent si allègrement l’autorisation de chasser des espèces protégées". Officiellement, la chasse est interdite mais, "avec leurs autorisations, que peut-on faire ?", s’interroge le garde-forestier, l’âme meurtrie, la mine renfrognée, l’air naturellement impuissant.
La chasse à la gazelle dorcas et à l’outarde houbara est pratiquée avec la bénédiction de l’État algérien, de Béchar à El-Oued, en passant par Naâma, El-Bayadh, Laghouat et Ghardaïa. Les émirs du Golfe ont commencé à affluer sous le règne de Houari Boumediene et, depuis, n’ont marqué qu’une pause, durant les premières années du terrorisme, à l’aube de la dernière décennie. Mohamed Moulay, ancien commandant de l’ALN, dit "Abdelwahab", se souvient de ses altercations avec des chasseurs saoudiens et avec les autorités d’El-Bayadh. "Nos chères autorités ont préféré s’acharner sur les citoyens locaux, déboutés par la loi, pourchassés par des procédés déloyaux. Certains finissent en prison, les plus chanceux se voient juste retirés leur gibier et saisis leurs fusils. Résultat : la gazelle a disparu du désert. Aujourd’hui encore, M. Bouteflika perpétue la tradition." Amers, ces propos du commandant Moulay. Amer, le règne du mépris aussi. Et les habitants d’El-Bayadh précisent tout de suite, en évoquant le sujet, qu’il s’agit de "ces amis du Président". Ils le disent avec une telle spontanéité qu’on est tenté de croire à une espèce de vérité cachée, bien que connue de tous. Une vérité énoncée, comme pour indiquer l’ampleur de la dérision, par le ministre de l’Intérieur ici même, en marge de la récente visite d’inspection du chef de l’État ("Les émirs chassent avec autorisation" de l’État, avait-il dit, sans aucune forme de regret).
El-Bayadh, dont une large partie du territoire plonge dans le désert, offre gracieusement ses richesses animales aux braconniers. Certains, des responsables notamment, se plaisent à légitimer l’interdit par l’argument commode de "chasse touristique", au moment où d’autres, des spécialistes de la nature surtout, opposent un rejet catégorique et, somme toute, juridiquement aussi solide qu’irréversible. Les terrains de prédilection des braconniers sont ceux de Brezina, Labiodh Sidi-Cheikh et El-Bnoud, situés respectivement à 84, 116 et 196 kilomètres au sud et au sud-ouest du chef-lieu de wilaya. Ce sont des terres désertiques où même le couvert végétal a été balayé par la sécheresse et l’avancée inexorable du sable, le barrage vert n’étant plus qu’un vague souvenir. Contrairement aux émirs qui, eux, sont… d’une brûlante actualité. Aïssa, citoyen paisible ayant requis l’anonymat par crainte de représailles, avoue avoir aperçu, dans la ville d’El-Bayadh, quatre ou cinq jours avant la visite du Président, quatre Jeep immatriculées au Qatar. Conventionnellement, ces "amis de l’Algérie" se présentent, davantage par contrainte que par esprit de courtoisie, au siège de la wilaya avant de gagner le désert.

Parties de plaisir et joutes poétiques
Théoriquement, la loi les oblige aussi à signaler leur présence à la direction locale du tourisme, pour des raisons de sécurité ou même d’itinéraire. Ils en ont pourtant fait fi, ignorant superbement, grâce à leurs autorisations, l’ordre hiérarchique établi par la loi irrévérencieuse des hommes de décision. "Tous les étrangers qui transitent ou séjournent dans le territoire de la wilaya doivent se présenter à notre direction, les émirs ont enfreint la règle", confirme un des responsables de l’Office du tourisme. Les émirs braconniers viennent, principalement, de quatre pays : l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis et le Koweit. La saison de la "chasse" débutant en octobre (elle coïncide avec la fin de la lutte anti-incendies, précise-t-on à la direction des forêts d’El-Bayadh), ils envoient d’abord, en pareille période généralement, des délégations préparer le terrain — choix des zones de chasse, repérage des lieux, installation des tentes, etc. —, avant d’arriver en masse dans le désert. Les délégations sont conduites par des chefs, mais elles comprennent surtout des serviteurs, pakistanais, philippins, indonésiens, soudanais, chargés de mettre les émirs dans des conditions de séjour impeccables. Une avocate d’El-Bayadh, présidente d’une association de quartier, raconte : "Une fois, les services de sécurité ont arrêté des Soudanais en situation irrégulière. Il s’est avéré qu’ils étaient venus avec les braconniers du Golfe pour, ensuite, être abandonnés à leur sort." Forts de leur argent et de leurs autorisations, obtenues directement auprès des hautes autorités du pays, les braconniers bénéficient d’une protection digne des invités d’honneur de haut rang. Ils sont ainsi escortés par des éléments de la gendarmerie tout au long de leur séjour. Néanmoins, lorsqu’il s’agit de pourchasser la gazelle et l’outarde, ils n’acceptent aucune compagnie, exceptée celle de leurs serviteurs les plus proches dont ils attendent et exigent la plus grande attention et des prestations sans faille. Eux, sont là pour le plaisir, la délectation, la décontraction, le défoulement. Le désert étant vaste, chaque délégation (de chaque pays) choisit sa zone de braconnage. Cet ingénieur d’État, reconverti par la force des choses en spécialiste de la nature, n’oublie pas qu’en 2000 les émirs ont failli en venir aux mains à cause de la répartition des territoires de souveraineté. Le mécontentement des uns a croisé l’entêtement des autres.
La gazelle et l’outarde doivent représenter des facteurs de joie intense pour les émirs. Un ancien garde-forestier, rencontré dans la ville d’El-Bayadh, a retenu dans sa tête, sans doute à jamais, le détail d’une partie de chasse racontée par un de ses amis. "Leur plaisir n’est pas tant le gibier mais la chasse elle-même. Pour capturer l’outarde, ils usent d’une méthode de professionnel. Ils chassent en fait à l’aide d’oiseaux, proches de cette espèce, à qui ils accrochent des puces électroniques reliées directement à des appareils dans leurs grosses voitures. Ils suivent la proie sur terre alors que leurs oiseaux se chargent de l’attirer jusqu’à leur niveau.
Le propriétaire les enveloppe dans un voile spécial avant de retirer l’appât et célébrer ostensiblement le moment." Un moment de fierté où "l’adversaire" n’est pas l’outarde mais le braconnier rival. "La nuit tombée, les émirs organisent des soirées longues, marquées surtout par des joutes poétiques", comme pour rappeler le glorieux temps des bédouins d’Orient, admirablement contés par Amine Malouf dans ses majestueux romans.
Quant à la chasse à la gazelle, elle se pratique avec des voitures neuves et puissantes, fabriquées au Japon. "La puissance de ces engins rend le braconnage vraiment aisé : il leur suffit de suivre les gazelles à leur rythme jusqu’à l’essoufflement. Après, ils n’ont plus qu’à les prendre et les jeter à l’arrière", relate cet ancien chasseur, accroupi dans le désert de Brezina, écœuré par l’extinction de ces espèces. Lorsqu’elle se sent pourchassée, la gazelle court à une vitesse d’environ 80 kilomètres à l’heure, mais elle perd de son souffle au bout de quelques minutes.
Dans leurs rutilantes voitures, les émirs maintiennent la cadence à volonté, nettoyant ainsi des périmètres importants en un temps record. Pendant des années, des dizaines de braconniers, riches émirs du Golfe, et, aussi, des nationaux hors la loi ont vidé le désert algérien de ses réserves naturelles précieuses. Aujourd’hui, la gazelle est presque introuvable, l’outarde quasi-inexistante.

"Ils chassent avec des fusils de guerre" !
Un responsable de la direction des forêts estime la présence de l’outarde entre deux et trois couples sur cent hectares. Il confirme qu’un groupe est déjà en place dans la daïra de Labiodh Sidi-Cheikh, "les autres viendront à l’ouverture de la chasse". Cette direction parle en fait de "chasse touristique" contestée par des parties concernées par la question. Les émirs sont, semble-t-il, suivis par des agents des forêts et "chassent en dehors de la période de reproduction (environ 22 jours) de ces espèces protégées". De son côté, le président de l’APC de Brezina — qui a eu l’amabilité de mettre à notre disposition une voiture pour une visite d’un site protégé — assure que "leur chasse est limitée". Cette façon si soft de justifier le braconnage contraste cependant avec la colère de la Fédération des chasseurs d’El-Bayadh. Celle-ci a profité de la visite de M. Abdelaziz Bouteflika dans sa wilaya pour lui remettre une lettre de protestation dont la teneur a été tenue secrète. Le désarroi est résumé par un des membres de cette Fédération : "Nous ne comprenons ni n’acceptons ce gaspillage systématique. Ce que nous avons à dire est dans la lettre remise au Président, nous ne faisons aucune déclaration à la presse." Il se laisse aller plus tard, dans un accès de colère, soulignant que "ces émirs chassent avec des fusils de guerre alors que la chasse est interdite depuis 1972. C’est comme si on leur disait : venez saboter notre pays parce que nous n’arrivons pas à le faire nous-mêmes !" L’Association scientifique de l’environnement et la conservation du patrimoine d’El-Bayadh a transmis plusieurs rapports aux autorités locales et au ministère de l’Environnement, mettant notamment en garde contre le braconnage systématique pratiqué en toute impunité. "Mais nous sommes persuadés que nos rapports ne parviennent même pas à destination", soutient son jeune et dynamique président.
Au bureau local de l’Agence nationale de la conservation de la nature, l’indignation a aussi atteint son paroxysme. "On ne peut rien dire, étant donné qu’il s’agit des invités du Président", commence par dire Mohamed Hamzaoui. Selon cet ingénieur d’État, le braconnage pratiqué par les émirs rend difficiles les estimations concernant le nombre de gazelles et d’outardes dans le désert. "Nous n’ignorons pas pour autant que, pour la gazelle par exemple, on en est au point rouge. Avant, le chasseur et les animaux partaient sur 50% des chances chacun ; aujourd’hui, avec ce matériel sophistiqué, les animaux n’ont aucune chance de fuite. Pour moi, c’est plus que du braconnage ! De là à parler de chasse touristique relève de la plaisanterie", assène-t-il. L’agence possède un site protégé de dix gazelles, à 60 kilomètres au sud de Brezina. "Nous voudrions élever d’autres sites pour diverses espèces, la gazelle surtout", espère-t-il. Sans contredire la version majoritaire, Salah, enseignant, évoque aussi ces Algériens qui, dans le temps, chassaient la gazelle sans autorisation, massivement et sauvagement. "Il y en a qui ont ouvert des boucheries spécialisées dans la viande de gazelle dans les environs, confie-t-il. Il faut également reconnaître que la sécheresse a joué un rôle important dans la fuite de cette espèce de notre territoire car, pour moi, les émirs du Golfe n’en ont eu qu’une infime partie."
Le garde-forestier de Labiodh Sidi-Cheikh promène son regard, les yeux toujours égarés. Dans son bureau poussiéreux, le câble téléphonique reste pendant, car déconnecté de l’appareil.
Coupé du reste de la wilaya, dépourvu de voiture, il sait qu’il occupe un poste symbolique, tellement symbolique qu’il se met à imaginer l’étendue de ce territoire que les émirs connaissent désormais mieux que lui. Une fois, se remémore-t-il, un militaire de haut rang est venu "ouvrir la chasse" à ses amis, avant de prendre la poudre d’escampette…

L. B.

Au "nom" de la loi
La chasse à la gazelle et à l’outarde est interdite par la loi algérienne. Le décret 83/509 relatif aux espèces animales non domestiques protégées a été promulgué le 20 août 1983 par le président Chadli Bendjedid afin de protéger les "espèces animales non domestiques dont la préservation à l’état naturel et la multiplication sont d’intérêt national." Le décret précise bien qu’il s’agit d’espèces jouant un rôle dans l’équilibre naturel, revêtant un intérêt scientifique et culturel particulier, mais qui sont menacées d’extinction. Une liste de 73 espèces a été dressée, dont évidemment la gazelle (dorcas) et l’outarde (houbara).
Curieusement, les autorisations délivrées par le ministre de l’Agriculture, Saïd Barkat, et le ministre de l’Intérieur, Noureddine Zerhouni, aux émirs du Golfe, venus notamment d’Arabie Saoudite, du Qatar et des Émirats arabes unis, s’appuient sur le même décret. L’article 5 spécifiant, en effet, que le ministre chargé de la nature peut "exceptionnellement autoriser la chasse ou la capture des espèces" figurant sur la liste. Et, curieusement, ces autorisations ne concernent que les étrangers, particulièrement les émirs du Golfe dont le plaisir au braconnage n’a pas de limites. De la même manière, le mépris de l’État pour les Algériens a peu de limites. Dans le Sud algérien, à El-Bayadh par exemple, des citoyens notent si bien : "Quant cela vient d’en haut, personne n’y peut rien."

Reportage
EL WATAN,

quotidien national du 29 -09-2003

Les Outardes et les gazelles en voie de disparition / Les autorisations de chasser sont des permis de tuer

Les autorisations de chasser du ministre de l’Agriculture, dévoilées par le ministre de l’Intérieur pour légitimer le massacre de la faune subsaharienne par les émirs du Golfe, ont été délivrées en vertu d’une application tendancieuse du décret d’application 83-509.

Ce texte donne la liste des animaux non domestiques protégés, élaborée il y a vingt ans sur de rigoureux critères scientifiques.
Et à l’époque, notre faune se portait bien mieux qu’elle ne l’est aujourd’hui. L’outarde Houbara et les quatre espèces de gazelles y figurent en toutes lettres et en bonne place aux côtés de nombreuses autres, notamment du cerf de Barbarie aujourd’hui disparu de nos contrées. L’article 5 de ce texte stipule que «le ministre chargé de la protection de la nature peut, exceptionnellement, autoriser la chasse ou la capture des espèces animales non domestiques protégées». C’est cette exception, élevée au rang de règle, qui sert à couvrir l’hécatombe provoquée chaque hiver par les parties de chasse princières, reconnues par Bouteflika en personne, qui a déclaré en Conseil des ministres qu’il avait connaissance d’un émir qui a abattu 800 outardes en une saison de chasse. En ne dérogeant pas à l’indécrottable manie de corrompre l’esprit de la loi pour justifier le fait du prince, les autorités, dans cette affaire, ont fait l’impasse sur le texte fondamental de la loi sur la chasse (82-10 du 21 septembre 1982) en cours de modification par une ordonnance présidentielle pour ouvrir, sous le prétexte fallacieux de l’essor du tourisme, la voie à la fauconnerie et à la chasse à courre... en 4X4 ! Cette loi ne laisse aucune place à l’équivoque pour le sens à donner à «exceptionnellement». L’article 29 dit clairement que «le ministre chargé de la chasse prend toutes les mesures tendant à assurer la conservation et le développement du gibier et des animaux protégés. Après avis du Conseil supérieur de la chasse, il fixe les périodes de la chasse, il établit la liste des espèces rares ou à protéger dont la capture, la chasse, la destruction, le transport, le colportage, la vente et l’achat sont interdits. La liste des espèces animales protégées est déterminée par décret pris sur rapport du ministre chargé de la chasse.» En l’occurrence, le 85-509. Plus loin, l’article 32 de la même loi balaie ce qui pourrait 2subsister d’ambiguïté en énonçant qu’«après autorisation du ministre chargé de la chasse et dans un but scientifique, des animaux et des oiseaux protégés peuvent être capturés ou tués et leurs nids et petits recueillis». Si, malgré cela, un doute persiste toujours, la loi-cadre de l’environnement le dissiperait définitivement, car ses prescriptions pour la protection de la biodiversité énoncent ceci : «Nonobstant les dispositions des lois relatives à la pêche et à la chasse, et lorsqu’un intérêt scientifique particulier ou que des nécessités de la préservation du patrimoine biologique national justifient la conservation d’espèces animales non domestiques, sont interdits : la destruction ou l’enlèvement des œufs et des nids, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient morts ou vivants, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente et leur achat.»

Des permis pour les émirs


En clair, et à l’instar du monde civilisé, les lois algériennes protègent scrupuleusement les espèces en voie d’extinction et n’autorisent leur chasse ou leur collecte que pour les besoins de la science. Tel n’étant pas le cas avec les émirs du Golfe, les autorisations du ministre de l’Agriculture sont par conséquent des permis de tuer. En abattant des espèces protégées de nuit, à la lumière de projecteurs, avec des fusils dotés de lunettes télescopiques avec visée nocturne, qui ne sont pas des armes de chasse, à grands renforts d’avions de reconnaissance et de véhicules 4X4, et si on y ajoute le transport et le colportage d’animaux protégés à l’intérieur puis à l’extérieur de nos frontières, les braconniers encourent autant de fois de 1 à 6 mois de prison qu’il y a d’infractions. Et la récidive double la sanction. Dans tous ces cas de figure et sans préavis, il y a confiscation de l’arme et suspension de la pratique de la chasse. Les invités du chef de l’Etat cumulent toutes ces infractions. Avec la complicité de ceux qui les protègent et leur portent assistance, ils sont plusieurs fois hors la loi du pays qui les accueille fraternellement. Ils reviendront cette année encore juste après l’Aïd. Cherif Rahmani, ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, interrogé sur cette question, a répondu qu’il ne tenait pas à piétiner les plates-bandes de Saïd Barkat, ministre de l’Agriculture, parce que son département n’a pas les prérogatives de la police de la chasse. Faux ! Tous les officiers de police judiciaire prévus par le Code pénal algérien ont qualité d’agents de la police de la chasse. Les agents forestiers, placés sous l’autorité du ministre de l’Agriculture, font office de gardes-chasses. Mais, même assermentés, ils ne sont pas compétents pour constater l’infraction et doivent obligatoirement recourir aux OPJ ou aux P/APC pour la procédure judiciaire. Et quand bien même ils le pourraient, ils seraient assujettis à se mettre au service des seigneurs de la chasse comme c’est déjà le cas pour les services de sécurité, les walis, les sénateurs, les députés et les notables des zones conquises par les braconniers. Il y a bien une police de l’environnement, mais elle est sous la tutelle de Noureddine Zerhouni, ministre de l’Intérieur. C’est tout dire. Cette «division du travail» est bien pratique pour le ministre de l’Environnement, plus zélé pour les missions moins périlleuses. Il faut cependant rendre grâce aux concepteurs de la nouvelle loi sur l’environnement d’avoir consacré le droit à l’information environnementale et, surtout, la possibilité pour les citoyens et les associations d’ester en justice les auteurs, qu’ils soient publics ou privés, d’infractions et délits contre l’environnement. Car c’est là que réside maintenant le frêle espoir pour la survie des outardes et des gazelles. Les autorités du pays s’étant rendues complices du massacre de la faune, qui chaque année a pour théâtre le désert algérien, c’est à la société civile, et au premier titre les nombreuses associations pour l’environnement, qu’échoit le devoir de sauver ce qui peut l’être encore. L’Etat, instrumentalisé, s’est manifestement désengagé de ses responsabilités nationales et internationales, notamment ses engagements vis-à-vis de la Convention sur la biodiversité qu’il courtise assidûment pour le financement du Plan national de l’environnement et du développement durable (PNEDD). L’outarde Houbara, décimée parce que chassée depuis 30 ans par les émirs, en Asie centrale, au Moyen-Orient, dans toute la péninsule arabique et en Afrique du Nord, est classée en annexe I de la CITES (Convention de Washington relative aux espèces de faune et de flore menacées d’extinction), autrement dit intouchable jusqu’à une remontée satisfaisante de ses effectifs mondiaux. Et il ne faut pas se leurrer, car l’Algérie est attendue sur ce terrain-là par la communauté internationale, autant qu’elle l’est sur d’autres, plus économiques. Elle est déjà taxée d’être le pays où on achève bien les gazelles et elle est en passe de devenir le tombeau des dernières outardes de la planète. Ironie du sort et pour la petite histoire, rappelons que le premier traité international pour la conservation de la nature et des ressources naturelles a été signé à Alger le 15 septembre 1968, il y a tout juste 35 ans. On lui a donné le nom de Convention d’Alger, ce qui a été, pour nous, pendant longtemps, le motif d’une grande fierté.

Par Slim Sadki